1000 caméras pour Paris
Dans un communiqué de presse daté du 22 Avril 2008, l’ONU estimait que 2008 serait l’année où pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, plus de 50% de la population mondiale résiderait dans des villes.
D’un point de vue quasi médical, géographes et sociologues définissent la ville comme « un groupement de populations agglomérées caractérisé par un effectif de population et par une forme d'organisation économique et sociale ».
Nous, citoyens des villes, nous savons bien qu’il en est tout autrement, ou que du moins nous ne pouvons nous retrouver pleinement dans ce genre de conclusion froide. Et pourtant…
Et pourtant, sans cesse notre habitacle est disséqué, étudié, analysé par des groupements et des regroupements, des organismes et des organisations plus ou moins autonomes, plus ou moins pertinents et il ne peut sortir de notre esprit, qu’a l’image de n’importe quel animal, les Hommes se définissent en grande partie par leurs territoires et que de fait, nous sommes les sujets de ses études chirurgicales. Nous ne pouvons oublier non plus que ses études sont, pour beaucoup d’entre elles, les pièces maîtresses et les socles solides des réflexions, notamment politiques, et de leurs adaptations physiques après « lecture et analyse ».
Trop souvent, malheureusement, et pour ne pas dire systématiquement, il émane de ses études l’odeur nauséabonde du marketing, de l’espace marchant, propre il est vrai a n’importe quelle écologie (puisque la ville en est une a elle toute seule) mais qui aujourd’hui touche d’un et d’un seul revers de main la moitié de la population mondiale. La ville nous définit de la même façon que nous définissons la ville, mais nous en sommes les enfants non reconnu, illégitimes ou traité comme tel. « Tu veux les avantages du quartier? T’auras les inconvénients! Ta cité c’est pas ta mère mais si tu crèves elle aura d’autres enfants!*»
En effet, puisqu’il n’est pas à remettre en question le fait que nous nous définissions en grande partie par notre territoire alors la ville est l’une de nos composantes principales. Mais la ville considère ses habitants comme pluriels, il n’est pas question de traiter une masse en prenant soin des entités particulière ou individuelle qui la compose (en parti pour des raisons d’organisation évidente). Pour la ville nous sommes tous interchangeables au seins de nos castes: un étudiant en vaut un autre, un chômeur en vaut un autre etc...et pourtant il existe autant de sensibilités (urbaines pour le coup) que d’habitants, et encore plus d’ambiances et de situations probables et possibles. L’écologie urbaine est truquée, biaisée. Un système mis en place mais sans cesse lifté et remodelé dans des opérations à sens unique. On reprend pour ne plus jamais restituer. On délimite des frontières physiques alors qu’il faudrait au contraire laissé libre les flux et les échanges.
Parce que nous y avons grandi, parce que nous y avons joué, parce que nous l’avons arpenté, parce que nous aimons ses recoins, parce que l’heure qu’il est ne nous importe pas toujours, parce que nous estimons qu’elle nous est redevable autant que nous lui sommes, parce que la plupart de nos activités ne sont pas quantifiables avec les barèmes établis, parce que nous voulons rendre a la vie urbaine ce qui lui revient de droit: poésie, lyrisme, liberté, art, oisiveté et occupations obsolètes, actes gratuits et inutiles, mais aussi violence, agressions, zone de non-droit, coupe gorge et émeutes, entre autres...
Ici il ne s’agit pas de ressortir un réchauffé de ce qu’aurait pu affirmer les acteurs situationnistes des années 60. Il ne s’agit pas non plus de reprendre à notre compte des revendications soixante-huitardes, mais d’établir un constat flagrant: Mon avis qu’il faut être bien aveugle pour ne pas réagir lorsque, par exemple, la mairie de Paris entreprend d’ici à fin 2009 le positionnement de 900 caméras de surveillance qui viendront s’ajouter aux 330 déjà existantes portant le nombre total à plus de 1200 caméras positionnées à « des points stratégiques de la ville » alors qu’en avril 1968, un tract anonyme était distribué dans les rues de Bordeaux et affichait « Ne dites plus urbanisme mais dites police préventive »…
Mais je reviendrais sur ces « points stratégiques de la ville », le JDD en citait quelques-uns le 16 Octobre dernier et mérite que l’on s’y attarde : « Le nombre de caméras sera accru dans les secteurs à risque. Au Champs-de-Mars, par exemple, où, en juin dernier, des groupes organisés avaient agressé les lycéens venus comme chaque année fêter la fin du bac. Le dispositif se concentrera également sur les gares et notamment la Gare du nord, lieu d'affrontements entre bandes rivales en mars 2007. Enfin, le maillage vidéo sera plus dense dans le XVIIIe et le XIXe arrondissement, qui comptent de forts taux de délinquance et de nombreux incidents entre communautés, comme lors de l'agression du jeune Rudy. »
Sans aucun doute qu’il existe d’autres exemples tout aussi flagrant quant a l’installation de caméras en réponse a des faits-divers. L’espace sécuritaire et la mentalité répressive ou dissuasive prime sur toute logique de bon sens ou de réflexions politique. Non content d’avoir réussi à créer des espaces ghettos, des endroits clos, la mensongère écologie urbaine va maintenant filmer ses habitants 24/24 pour les faits-divers dont elle est, en plus, la seule responsable…
Heureusement que nous avons notre bon vieux (74 ans) George Sarre, adjoint au maire de Paris et en charge de la prévention et de la sécurité pour nous rassurer en affirmant que le dispositif sera mis en place dans le « plus strict respect des libertés individuelles » arguant comme garantie que le système sera « automatiquement paramétré » et qu’en cas de défaillance, les bandes (qui seront normalement conservées un mois!) seront « immédiatement détruites ». Nous voilà soulagé!
La police municipale sera seule à pouvoir utiliser ce dispositif mais sous l’œil vigilant de la CNIL à qui, nous citoyens/acteurs devons-nous remettre pleinement, CNIL présidée par Alex TÜRK depuis 2004, ancien membre du RPR et ancien professeur aux universités catholiques de Lille entre autres, c’est dire… Ne pas oublier non plus que le dispositif de surveillance sera mis en place (pour ce qui est en tout cas des caméras a proprement parlé) par des entreprises privées.
Et plus encore, si seulement nous n’étions pas pris pour des abrutis, ce que s’est empressé de faire notre ministre de l’intérieur Michèle Alliot-Marie qui entend faire du XIXe arrondissement de Paris le laboratoire de ce plan nommé « 1000 caméras pour Paris » et d’affirmer a ce titre qu’il existe une grande différence entre vidéosurveillance et vidéo-protection. Car la vidéo-protection suppose que les caméras soient implantées « là ou vivent les gens pour s’assurer qu’il ne leur arrive rien » bien différent de la vidéosurveillance qui sert a « l’ordre public et a la circulation » !
En attendant les premiers dérapages de ce dispositif sécuritaire étouffant, en attendant les premiers constats d’échec qui en ressortiront nécessairement (et je suis certain que nous pouvons d’ors et déjà anticiper une hausse de la violence adaptée a ce dispositif et donc plus sournoise, plus violente ou plus grave) je sortirais masqué.
Arthur.